Une théologie des larmes : pleurez avec nous

Lamentation et espérance au Moyen Orient

Yohanna Katanacho

Traduit de l’anglais par Anja Morvan

Ce papier cherche à présenter une théologie de l’espérance au milieu des larmes. Je me pencherai sur le livre des Lamentations en soulignant différentes réactions humaines à la catastrophe théopolitique qui a eu lieu en 587 av. J.-C., à savoir la chute de Jérusalem. Mon argument est simplement le suivant : il n’y a pas de consolateur, il n’y a pas de prophète et il n’y a pas d’espoir. Je ferai remarquer dans le même temps des correspondances avec les réalités catastrophiques du Moyen-Orient et de la Palestine. Enfin, je présenterai des leçons importantes que les chrétiens ont besoin de considérer dans leur imagination prophétique.

Au cours des dernières années et à la lumière des réalités au Moyen-Orient, j’ai étudié le livre des Lamentations. Les similitudes de la souffrance m’ont choqué et j’ai été amené à écrire le poème suivant :


Pleurez Avec Nous

C’est une saison de pleurs et de larmes mais elle n’est pas vide d’espérance.
Nos larmes sont le pont entre la brutalité et l’humanité.
Nos larmes sont les portes salées vers une différente réalité.
Nos larmes sont confrontées aux nations sans âme et à une aride mentalité.
Nos larmes sont la digue qui empêche les rivières de l’animosité.
Par souci des hommes endeuillés, pleurez avec nous pour démontrer votre amitié,
Par souci des enfants pauvres, pleurez avec nous en réclamant un esprit en bonne santé.
Par souci des femmes en larmes, refusez la violence et la stupidité.
Aimez vos ennemis et pleurez avec eux, c’est le conseil de la divinité.
Bénir ceux qui vous maudissent, c’est le chemin de la véritable spiritualité.
Déverser des larmes de miséricorde et de compassion, c’est la véritable piété.
Priez avec larmes, pour la cause d’une plus grande équité.
Disciples de Jésus : pleurer est à présent notre responsabilité.
Mais ne pleurez pas pour vos amis seulement ; mais aussi pour votre Ennemi.


J’ai eu de nombreuses questions existentielles. Que disons-nous ou que faisons-nous lorsque nos villes s’effondrent et que la faim envahit nos rues ? Quelle réponse donner lorsque nos maisons sont détruites et nos jeunes enfants sont brutalement tués ? Que faisons-nous lorsque les dents du mal sont comme les ongles de l’enfer qui pénètrent nos âmes ? Pourquoi Dieu est-il absent lorsque les infrastructures morales et civiques de notre société s’effondrent ? Pourquoi Dieu nous abandonne t-il lorsque nos lieux saints sont profanés et nos symboles religieux méprisés ? Le livre des Lamentations a accueilli mes sentiments et m’a aidé à exprimer mes frustrations.* Il dit : « Je verse des torrents de larmes à cause du désastre qui a atteint la communauté de mon peuple. Mes yeux pleurent sans cesse, ils n’ont aucun répit jusqu’à ce qu’enfin l’Eternel, du haut du ciel, regarde et voie. Je suis bien malheureux à la vue de ce qui arrive aux filles de ma ville. »(Lam 3.48–51)

Il est certain que le livre des Lamentations est un lieu rempli de chagrin, de tristesse et de larmes salées. Ce livre est très pertinent pour notre situation au Moyen-Orient. Il peut être une pierre fondatrice pour notre théologie. Je pars de l’hypothèse que la destruction de Jérusalem au temps de Jérémie est semblable à la Nakba en 1948 et à la série de catastrophes dont certains Moyen-orientaux font l’expérience aujourd’hui.* Basé sur le livre des Lamentations, je soulignerai trois domaines : il n’y a pas de consolateur, il n’y a pas de prophète et il n’y a pas d’espoir.

En premier lieu, il n’y pas de consolateur.

Le livre des Lamentations rappelle la destruction de l’infrastructure socioreligieuse de l’ancien Israël.* Le texte décrit le siège de Jérusalem, sa famine, son invasion par une armée puissante, l’exécution de ses responsables, l’exil de son peuple, le pillage de ses lieux religieux et l’effondrement de tout espoir. Il dit simplement qu’il n’y a plus personne pour la consoler (Lam 1.2, 9, 16, 17 et 21). Il indique qu’il n’y a personne pour aider le peuple à gérer sa douleur et ses réalités misérables. Personne ne leur montre de miséricorde ou de compassion, ni ne leur offre d’encouragement ou d’espoir au milieu de leurs détresses. Il n’y a pas de consolateur pour les Palestiniens, pour les Syriens ou pour les Iraquiens ou pour d’autres nations dans des situations semblables. Les Israéliens ne vont pas résoudre leurs problèmes. Ni le monde arabe, ni les Européens, ni le monde islamique, ni les Nations unies ne leur apporteront de l’aide. Le monde les a abandonnés. Il n’y a pas de consolateur. Nous nous lamentons donc.

En deuxième lieu, il n’y a pas de prophète.

Le texte dit qu’ « il n’y a plus de Loi, et ses prophètes ne reçoivent plus de révélations de l’Eternel. » (Lam 2.9, BDS). Dieu est silencieux et le peuple souffre. Cela a conduit à de nombreuses réactions. Certains demandent à juste titre : Où est Dieu ? Il ne fait pas l’ombre d’un doute que de nombreuses personnes au Moyen-Orient ont rejeté Dieu parce qu’il ne les a pas protégés. En tant que chrétien, je préfère accuser Dieu plutôt que de le boycotter ou d’éliminer son existence. Certains croient que Dieu les a rejetés. Le livre des Lamentations commence par une question sur la souffrance de la ville mais termine par une question sur l’endurance du rejet de Dieu. Certains préfèrent le chemin de la pitié de soi en adoptant une mentalité de victime qui veut que tous voient leur souffrance (Lam 1.12). Certains préfèrent le chemin de la vengeance (Lam 1.22; 3.64). Ils déshumanisent leurs ennemis dans le but de faciliter leur destruction. Pourtant, nous en tant que chrétiens, ne pouvons pas abandonner la logique de l’amour qui nous pousse à chercher la justice sans abandonner la dignité humaine de tous les habitants. La vengeance n’est pas notre chemin.

En troisième lieu, le livre des Lamentations dépeint une réalité dans laquelle il n’y a pas d’espoir.

Cela me rappelle la Comédie divine de Dante dans laquelle il écrit sur le signe aux portes de l’enfer. Il dit : « Par moi, l’on va dans la cité des pleurs… Vous qui entrez, laissez toute espérance. »* En Palestine, en Israël, en Syrie et dans de nombreux autres pays du Moyen-Orient, nous avons une tâche impossible dans notre recherche d’espoir politique.

« Pourtant, le livre des Lamentations souligne que l’espérance ne dépend pas des circonstances mais du fait de voir la perspective divine. »

L’existence d’une vision prophétique est indispensable à l’existence de l’espérance. Heureusement, le document Kairos palestinien a une voix prophétique suivant les traces de ceux qui ont affirmé la foi, l’espérance et l’amour (1 Cor 13.13).* Dans la première épître aux Corinthiens, l’unité littéraire de ces trois vertus se retrouve aux chapitres 12 à 15. Et elle conclut par un message fort d’espérance enracinée dans la résurrection de Jésus-Christ. Bien plus, nous suivons les traces de Saint-Augustin. Dans son Enchiridion ou son manuel, il souligne que l’espérance naît de la foi.* L’espérance ne peut exister sans la foi. Il ajoute que « celui qui n’aime pas croit en vain même si ce qu’il croit est vrai ; il espère en vain…à moins qu’il croie et espère ceci : qu’il puisse, par la prière, obtenir le don de l’amour. »* L’amour nous unit à Dieu.* L’amour ne signifie pas abandonner la justice mais il signifie rechercher la justice dans une logique d’amour et non de vengeance. La bonne espérance ne peut exister sans la foi et l’amour. Dans le livre des Lamentations, le texte dit :

« Mais voici la pensée que je me rappelle à moi-même, la raison pour laquelle j’aurai de l’espérance : car les bontés de l’Eternel ne sont pas à leur terme et ses tendresses ne sont pas épuisées. Chaque matin, elles se renouvellent. Oui, ta fidélité est grande ! J’ai dit : L’Eternel est mon bien, c’est pourquoi je compte sur lui. L’Eternel est plein de bonté pour ceux qui ont confiance en lui, pour ceux qui se tournent vers lui. Il est bon d’attendre en silence de l’Eternel la délivrance. (Lam 3.21–26). »

Cette espérance est confirmée et incarnée dans le livre des Actes. Dieu inflige la souffrance à Jérusalem dans le livre des Lamentations. Et au premier siècle, Jérusalem s’est vengé en tuant le Messie d’Israël. Cependant, le Dieu trinitaire a terminé ce cycle de violence par la foi, l’amour et l’espérance. Le Père nous a aimés et nous a donné son Fils unique sur la croix. Le Fils a pleuré sur Jérusalem et y a souffert, mais il a pardonné et incarné le chemin de l’amour. Puis le Saint-Esprit est venu à Jérusalem. Le Saint-Esprit est le consolateur qui terminera notre exil loin de Dieu et nous accordera une vision prophétique qui n’est pas enracinée dans une réalité ethnocentrique ni limitée à un groupe, que ce soit des Grecs ou des Hébreux. Au lieu de cela, nous sommes témoins et prophètes dans le monde entier (Actes 1.7–8). Les chrétiens du Moyen-Orient marchent sur les traces de l’Église primitive dans la défense de la foi, de l’amour et de l’espérance. L’espérance est accessible à tous ceux qui invoquent le nom du Seigneur (Actes 2.21).

Notre témoignage est indispensable si l’Église veut continuer à incarner la puissance de la foi, de l’amour et de l’espérance bibliques auprès des Musulmans, des Juifs et d’autres communautés religieuses. L’Église multiethnique continue à être la main de Dieu pour aider le pauvre, pour mettre au défi les puissances d’oppression, pour lutter contre la discrimination, pour répandre le réconfort de Dieu jusqu’aux extrémités de la terre. Nous sommes un signe d’espérance.

Quelques leçons importantes pour les chrétiens

1. Nous pouvons pleurer au milieu des catastrophes.

La lamentation n’est pas le désespoir mais elle est humaine et elle nous aide à maintenir notre humanité alors que nous pleurons avec ceux qui pleurent. Mais pleurons ensemble. Et que nos pleurs soient l’expression de notre engagement envers la justice et la dignité humaine dans une logique d’amour.

2. Nous n’abandonnerons pas la bonne espérance.

Ceux qui abandonnent l’espérance abandonneront la quête de la justice. Une mauvaise espérance conduira à une vengeance suicidaire mais une bonne espérance nous rappellera la miséricorde de Dieu et nous rappellera que nous sommes des créatures de l’alliance et son peuple. Les chrétiens sont un peuple de l’alliance qui peut s’attendre aux bénédictions de Dieu en dépit des forces du mal. Les structures des injustices s’effondreront pour finir parce que Babel chutera et la Jérusalem céleste descendra.

3. Nous nous engagerons envers la foi, l’espérance et l’amour.

Notre espérance n’est pas une idée chimérique ou de l’optimisme. Et elle n’est pas fondée sur l’atmosphère politique turbulente. Elle est fondée sur la nature de notre Dieu qui a vaincu la mort, qui a établi l’Église des martyrs et qui a promis d’être avec nous. L’espérance est le pont qui nous aidera à passer de la réalité actuelle à la réalité espérée. C’est une force de changement pour redonner leur humanité aux gens qui ont été esclaves des forces de déshumanisation. Cela peut être seulement un bon changement lorsqu’il est accompagné de foi, d’amour et de soumission à l’Esprit-Saint. Il n’est pas surprenant que nos voix prophétiques du Moyen-Orient insistent sur la dignité humaine d’un point de vue de la foi, en affirmant que tous les êtres humains sont créés à l’image de Dieu, en proclamant la logique de l’amour et en faisant le choix de la bonne espérance.


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Notes de bas de page

[1] De nombreux autres chercheurs contemporains ont eu une expérience semblable avec le livre des Lamentations dans des temps difficiles. Voir par exemple, Adele Berlin, Lamentations (The Old Testament Library. Louisville: Westminster John Knox Press, 2004); ou Kathleen O’Connor, Lamentations and the Tears of the World (New York: Orbis, 2003); ou Collin Chapman, « A Lament over Lebanon, » disponible en ligne: http://www.batrneoconwatch.blogspot.co.il/2006/08/lament-over-lebanon-by-rev-colin.html; consulté le 1 décembre 2016.

[2] Dans la version latine et celle de la Septante, le livre des Lamentations commence par une introduction qui souligne que Jérémie est son auteur. Dans la version syriaque, nous avons quatre lamentations suivies d’une prière du prophète Jérémie. De plus, de nombreux pères de l’Église, le Talmud, Luther, Calvin et d’autres soutiennent que Jérémie est l’auteur d’un livre pertinent. Voir R. Salters, Lamentations (International Critical Commentary; New York: T. & T. Clark International, 2010), 5.

[3] Pour plus d’informations, voir Robin Parry, Lamentations (Electronic Form on Kindle; Grand Rapids: William B. Eerdmans, 2010), 112.

[4] Dante Alighieri, La Comédie divine de Dante Alighieri, Traduction par Félicité Robert de Lammennais, (Flammarion, 1910), 12.

[5] « The Palestinian Kairos Document: A Moment of Truth: A Word of Faith, Hope and Love from the Heart of Palestinian Suffering, 2009, » http://kairospalestine.ps/index.php/about-us/kairos-palestine-document. 

[6]Saint Augustine. Handbook on Faith, Hope, and Love, trans. Albert Outler (Grand Rapids, Mich.: Christian Classics Ethereal Library), 76; available online at http://www.ccel.org/ccel/augustine/enchiridion.pdf; accessed on Dec 12, 2016.

[7] Ibid., 78.

[8] Voir 1 Clement 49.5; Saint Clement, The First Epistle of Clement to the Corinthians (trad. J. B. Lightfoot; Athena: Athena Data Products), 24; disponible en ligne (en anglais) sur http://www.ntslibrary.com/PDF%20Books/First%20Epistle%20of%20Clement%20to%20the%20Corinthians.pdf; consulté le 12 décembre 2016.

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