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Nous devenons des rêveurs :

aperçus de la vie d’une étudiante

Esther Phua

Translated by Anja Morvan 

« A quoi sert une université ? » Là où je vis, les gens se posent rarement cette question. S’ils se la posent, la réponse est pragmatique. Poursuivre des études universitaires est la façon d’obtenir un travail bien payé et donc une manière d’avoir une vie confortable, une bonne vie. Mais une pensée persistante silencieuse demeure au fond de moi – il y a certainement plus que cela ?  

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Je suis assise pour mon tout premier cours de philosophie La salle de cours est grande et étonnamment remplie. Ce module est populaire parce qu’aux examens, il a un questionnaire à choix multiples. C’est presque du jamais vu. La plupart des gens prennent ce cours pour satisfaire aux exigences universitaires. Je le prends par curiosité. Je décroche un peu alors qu’il présente le concept de la métaphysique. Je regarde autour et la plupart sont sur leurs mobiles Dommage. Il est plutôt intéressant et très intelligent. Puis il dit quelque chose qui façonnera non seulement ma philosophie mais aussi ma théologie pendant longtemps après. « Tu appliques ta pensée ! » Pose des questions difficiles sans relâche, poursuis la vérité et puis parfois tu atteins un point où tu réalises qu’il y a des mystères dans ce monde. Là tu t’assoies silencieusement et tu t’émerveilles. »  

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« Donc, j’ai entendu que tu veux servir dans le groupe d’étudiants chrétiens ? » Pourquoi ? Que vois-tu dans l’université ? » Une étudiante plus âgée m’a fait asseoir pour prendre un café et a commencé à parler comme ça. J’avoue j’étais un peu prise au dépourvu. Je laissais mon regard errer au loin et je me suis interrogée. J’ai examiné mes sentiments et mes pensées.  

Je l’ai regardée.  

« Le potentiel ». 

Elle a froncé les sourcils.  

« Le potentiel de façonner les cœurs et de façonner la pensée. Le potentiel m’enthousiasme énormément. » 

Je ne le savais pas alors mais j’allais donner les huit prochaines années pour servir les étudiants à l’université.  

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« Je déteste la bibliothèque », ai-je murmuré à mon amie alors que nous marchions vers un lieu particulièrement bondé, anormalement silencieux, les bras remplis de livres et avec nos ordinateurs portables.  

« Pourquoi ? Je pensais que tu aimais le silence et que tu aimes l’odeur des livres ? »  

« J’y suis forcée. C’est oppressant », lui répondis-je sur un ton grincheux.  

Nous nous rendons vers les tables d’étude où nous voyons certains amis. Je traverse bien des étagères de livres que j’avais toujours ignorées. Un titre au coin de mes yeux attire mon attention. Je l’ignore et je vais m’asseoir près de la fenêtre. Je regarde d’un air sombre les personnes qui traversent la rue et qui se pressent vers les salles de classe et autres choses. Peut-être, c’est la lumière ou peut-être le moment du jour mais c’est un moment proustien, je suis transportée au lycée à nouveau.  

C’était après la classe. Nous traînions lorsque nous avions vu un enseignant, M. H. Il nous a rejoints et nous a demandé si nous étions prêts pour l’université. J’ai haussé mes épaules et j’ai marmonné quelque chose sur le fait de n’avoir aucune attente. Il a regardé au loin et puis a dit gaiment « Je n’allais jamais en cours ! Je passais tout mon temps à la bibliothèque. J’ai essayé de tout lire sur tout. En particulier, les choses en dehors de ma discipline, ». Il a baissé sa voix et a ajouté « Essayez de télécharger autant d’article de journaux que vous le pouvez. Vous n’allez plus jamais avoir un tel accès. » 

Je me lève pour prendre ce titre qui avait attiré mon attention. Je lis : Entre les déclarations et les rêves : L’art de l’Asie du Sud-Est.  

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Je suis une introvertie. J’aime participer à mes cours seule. Il semble y avoir eu un garçon qui semblait vouloir me suivre partout où j’allais. Ça peut sembler plutôt effrayant généralement, sauf qu’il était plutôt aimable, généreux et bon. Et je le connaissais du groupe chrétien sur le campus. Il m’a envahie de questions. Quels travaux dirigés as-tu choisi ? Pourquoi tu vas au cours toute seule ? Est-ce que tu veux être dans le même groupe pour le devoir sur Platon ? As-tu lu ce philosophe qui s’appelle Martin Buber ? J’aime vraiment Heidegger. Que penses-tu de l’éthique confucéenne ?  

J’ai commencé à comprendre qu’il y avait des gens dans le monde qui sont différents de moi. Et j’ai commencé à prendre du plaisir à rencontrer toutes sortes de personnes. Une chose que cet ami en particulier m’a enseigné, c’était de toujours lire les gens de la manière la plus indulgente possible. J’ajoutais souvent de manière effrontée, avant de prendre en compte la formulation de leur raisonnement. Cet ami me montrait également que nous sommes tous brisés mais qu’il y a une puissance dans un amour qui rencontre une vie blessée. C’est une puissance pour transformer, une puissance pour renouveler. Quand j’ai été confrontée à ma propre désolation, c’est en observant sa vie que j’ai trouvé une foi renouvelée en un Dieu qui fait de belles choses de nous. Le pain a été rompu. Et puis, il a été multiplié et a nourri du monde. Le flacon d’albâtre a été brisé afin que son odeur et sa beauté soient dévoilées. Christ lui-même a été brisé afin que nous puissions l’admirer ! Dieu fait toutes choses nouvelles.  

PS : Je l’ai épousé.  

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Il fait noir. Et je suis sur le point de marcher à travers la cafétéria vide pour rentrer à la maison. Et là, je vois une amie. Les quelques retardataires qui terminent leur dîner étaient partis depuis longtemps. Elle avait été assise là et faisait son travail. Je me dirige vers elle pour m’asseoir avec elle. Nous discutons de choses et d’autres avant que la conversation ne prenne une tournure plus profonde.  

« Ce n’est pas de la pornographie à proprement dit, mais j’estime que c’est aussi mauvais. Je lutte avec la littérature érotique. Ça ne m’aide pas que parfois je doive l’étudier dans cette discipline. Est-ce que Christ peut racheter ça ? Ou même la littérature en tant que domaine ? Je ne sais pas C’est dur. Je ne connais peut-être pas assez de théologie. » 

« Peut-être. Notre théologie s’est arrêtée à l’école du dimanche, même si nos études se sont poursuivies à l’université. Je ne sais pas pourquoi ça ne grandit pas aussi. » 

Nous étions assises en silence pendant un moment.  

« Est-ce que tu pourrais prier pour moi ? Je suis si honteuse que je ne peux pas aller à Dieu. » 

« Est-ce que je peux chanter? » 

« Bien sûr. » 

La nuit est devenue plus lourde et nous avons passé le reste de la soirée dans une cafétéria vide en chantant doucement. »  

—  

« Vas-y ! » J’étais un peu surprise. J’étais une jeune femme et dans un certain sens, je ne pensais pas que ce comité allait me prendre au sérieux. Mais voilà mon président qui m’encourageait à le faire.  

« Tu es le genre à rêver. Alors…vas-y et essaie ! »  

C’était là que j’ai découvert que l’université était un endroit où je pouvais essayer mes idées pour changer le monde. Un grand bac à sable si tu veux. Parce qu’à l’université, nous croyons encore que nous pouvons changer le monde, comme les enfants croient au monde fantastique. Ce qui le rend plus fantastique encore, c’est que nous croyons aussi que nous pourrions le faire !  

— 

J’étais en retard de quinze minutes. Je marchais rapidement vers le café où nous nous étions convenus de nous rencontrer. J’ai ralenti le pas. Puis je me suis arrêtée pour faire une petite prière. J’avais déjà reporté ce rendez-vous deux fois. A chaque fois, une culpabilité silencieuse et un désespoir résigné se trouvaient derrière une angoisse grandissante à l’idée de nous rencontrer. Je n’avais rien dit. Mais comme la grâce, elle est venue vers moi la première. Ses questions étaient douces et encourageantes. Et j’ai senti que l’angoisse se dissipait car elle a été accueillie avec compassion. Ça avait l’air de ne pas être un problème de dire que je n’étais pas à l’aise avec notre rencontre. Aujourd’hui cependant, c’était le jour. Je me sentais assez de courage pour rencontrer le monde. Dans ce cas-ci, pour rencontrer une amie.  

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Nous étions assis en silence autour de la table avec notre professeur et notre tuteur. Mon professeur s’est levé à l’arrivée de la mère. « Mme T, je suis vraiment navrée pour votre perte ». Je m’efface alors qu’ils parlent à voix basse. Nous avons tous déjeuné ensemble la semaine passée et il semblait bien aller. Cela paraissait surréaliste d’être à son enterrement. Sa sœur arrive. Et nous exprimons nos condoléances. Personne n’a vu venir. Il a tout gardé pour lui-même. Quelle en est la cause ? Personne ne sait vraiment. Mon professeur nous a rappelé tous les services de relation d’aide qu’offre l’université. Un camarade de classe mentionne qu’il avait été dévasté d’avoir abandonné son groupe dans le jeu vidéo dans lequel il jouait. Je l’ai cherché discrètement sur Facebook et j’ai fait défiler la page. Peut-être c’était trop.  

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J’ai envoyé un SMS : « Salut R, je peux venir squatter ta chambre ce soir ? Une longue histoire. » J’ai fait mon sac et j’ai quitté chez moi silencieusement et en colère. Franchement, je n’avais jamais rien fait de pareil mais ce soir, j’étais très en colère. Avec le recul, je pense peut-être que la partie de mon cerveau qui régule la maîtrise de moi-même ou de mes émotions n’avait pas complètement été formée mais dans un instant de colère, la seule option que je voyais était de quitter. Je marchais vers l’université et vers la résidence sur le campus de mon amie et je me suis calmée ce faisant. Je connaissais les faits. Mais cela ne m’aidait pas à réguler mes émotions. Je savais que c’était une étape de la vie où je découvrais qui j’étais par rapport à mes parents et ma famille d’origine, mais personne ne m’avait dit que ce serait à ce point houleux. D’ailleurs, je découvre qui je suis en réponse à toutes ces nouvelles voix et rencontres enthousiasmantes. Qui suis-je ? Qu’est-ce que je fais là ? Qui suis-je par rapport à ma famille ? Ma nationalité ? Mon pays ? Ma discipline ? Quand je quitte, est-ce que je reviens et quand je reviens comment ça se fait que je suis tellement changée et qu’ils sont tellement changée. Et pourtant tant de choses sont restées les mêmes. Et je ne suis plus sûre où et ce qu’est chez moi maintenant ? Est-ce que Dieu l’entend ? Est-ce que Dieu s’en soucie ? Qui est Dieu ? Qu’est-ce que je crois ? 

« Salut Esther. » Sa voix a gentiment a interrompu mes pensées. « J’ai un délai ce soir alors il faut que je travaille ici. Mais la salle de bain se situe au bout du couloir. Et tu peux utiliser mes affaires. J’ai acquiescé de la tête et je me suis exécutée en me dirigeant vers la douche. Ma colère avait été calmée et dans cette petite chambre, je me sentais en sécurité. En sécurité pour être moi-même. En sécurité pour ne pas être parfaite. Je me souviens avoir pensé en m’endormant, que les amis sont des lieux sûrs vers lesquels se tourner. J’ai des amis.  

J’allais finalement grandir pour apprendre à interagir d’une manière saine et utile avec ma famille et réguler mes émotions. Ils peuvent être eux-mêmes et je peux être moi-même. Et nous pouvons encore être une famille.  

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J’avais de la peine quand j’ai quitté l’université. Assise dans un parking, entre des sanglots, j’ai dit à Dieu et à la voiture garée devant moi que ça ressemblait vraiment à une rupture terrible. Comment pouvais-je quitter un endroit que j’avais appris à tant aimer ? Ça ne peut pas être l’espace géographique, est-ce que c’était les gens ? La rigueur et l’exploration intellectuelles ? La liberté de remettre en question et d’être remise en question ? La sécurité de savoir que tomber et échouer, ça n’est pas grave ? D’avoir découvert que je suis aimée, qu’il y a des gens qui voient en moi de la valeur, et que j’ai effectivement un rôle à jouer dans ce monde grand et bizarre. C’était tout ça à la fois et plus encore, certainement.  

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Nous avons peur. Terrifiés de ce qui va arriver, de ce qui est exprimé dans les projets. Nous faisons autant que nous le pouvons mais il y a toujours cette incertitude silencieuse ou ce premier rejet et échec. La peur de perdre quelqu’un ou quelque chose que nous aimons. La peur de perdre l’espoir dans un rêve. Peur de ne pas savoir. Peur de ne pas avoir le contrôle. Peur que personne ne soit là pour nous et peur que lorsque nous sommes finalement sur nos deux pieds, nous tombions et nous n’y arrivions pas.  

Mais nous sommes aussi enthousiastes. L’université nous offre un lieu de nouvelles aventures. Nouvelles idées. Nouvelles personnes. Nouveaux paysages. Nouvelles visions du monde qui interpellent et excitent. Un monde qui n’est pas tel qu’il est mais tel qu’il pourrait être. Nous devenons, en quelque sorte, des rêveurs.  

A la peur et aux rêves, nous l’entendons dire, la Parole s’est faite chair et a habité parmi nous. Emmanuel. Christ avec nous. De plus, nous entendons et nous avons l’espérance — Voici, je fais toutes choses nouvelles. Quel mystère glorieux et difficile. 

Questions de discussion 

  1. Est-ce que les gens qui vous entourent demandent à quoi sert l’université ? 
  2. Que pensent les gens de votre université (ou une université près de chez vous) sur le but d’une université ? 
  3. Quel aspect de votre université (ou de chez vous ou de votre pays) a besoin d’entendre la nouvelle que Christ est venu en chair et est avec nous ? 
  4. Quel aspect de votre université (ou de chez vous ou de votre pays) a besoin d’entendre que Dieu fait toutes choses nouvelles ? 
  5. Que rêves-tu que l’université soit ? 

Lectures complémentaires 

  • Why Study? Exploring the Face of God in the Academy. Singapour: FES, 2017. 
  • Brueggemann, Walter. The Prophetic Imagination. Philadelphia: Fortress Press, 1978. 
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