La souffrance et la persécution dans le christianisme primitif

Étude des écrits d’Ignace et de Justin Martyre

Matthew J Thomas

Traduit de l’anglais par Ando Mve Nguema

Parmi les nombreuses caractéristiques des premiers chrétiens qui ont étonné leurs voisins païens, l’une des plus saillantes était leur volonté de subir la persécution et même la mort, pour leur foi. Les écrits de trois figures ayant marqué le deuxième siècle — Saint Ignace d’Antioche, l’auteur inconnu de l’épître à Diognète et Saint Justin Martyr — témoignent de cette remarquable qualité des premiers chrétiens, et démontrent comment ces premiers chrétiens peuvent inspirer ceux d’entre nous qui sont les héritiers de leur foi aujourd’hui.

Au début du deuxième siècle, Ignace, l’évêque d’Antioche, écrit des lettres à un certain nombre d’églises alors qu’il est en route pour être exécuté à Rome. Dans ces lettres, Ignace supplie les églises de prier pour lui, mais les prie de ne pas faire obstacle à son martyre imminent, lequel lui permettra de ne pas simplement être « juste une voix », mais réellement « une parole de Dieu » (Rom 2.1). À cet égard, Ignace s’inspire de l’exemple de « notre Dieu Jésus-Christ, » qui « est plus visible, maintenant qu’il est dans le Père » qu’il ne l’était dans sa propre vie terrestre (Rom 3.3). Enchaîné et escorté par une compagnie de soldats, Ignace écrit que bien que ses gardes n’abusent davantage de lui que lorsqu’ils sont traités avec bonté, « toujours est-il que, par leurs mauvais traitements, je deviens davantage un disciple » (Rom 5.1). En effet, Ignace se réjouit du fait que sa souffrance le rapproche de Dieu :

« Celui qui est près de l’épée est proche de Dieu, et celui qui est au milieu des bêtes est au cœur de Dieu : seulement, que cela soit fait au nom de Jésus-Christ, afin de souffrir avec lui. J’endure toutes choses, parce que lui, l’homme parfait, m’en donne la force » (Smyr 5.1).

À ceux qui font face à un antagonisme semblable de la part des adversaires du christianisme, Ignace conseille ceci : « Permettez-leur donc au moins par vos œuvres d’être vos disciples. En face de leurs colères, vous, soyez doux ; de leurs vantardises, vous, soyez humbles ; de leurs blasphèmes, vous, montrez vos prières ; de leurs erreurs, vous, soyez fermes dans la foi ; de leur sauvagerie, vous, soyez paisibles, sans chercher à les imiter » (Eph 10.1–2). C’est en suivant l’exemple du Christ, en particulier face à la persécution, que nous faisons connaître la vérité, comme l’écrit Ignace : « Car ce n’est pas une œuvre de rhétorique de persuasion que le christianisme, mais une œuvre de puissance, quand il est haï par le monde » (Rom 3.3).

La volonté de souffrir observée chez Ignace est également attestée dans l’Epître à Diognète, une apologie anonyme de la foi rédigée au cours du deuxième siècle. En introduisant le christianisme à Diognète (qui, de toute évidence était un païen jouissant d’une certaine réputation), l’auteur décrit la rencontre paradoxale entre l’hostilité païenne et la bienfaisance chrétienne :

Soumis aux lois établies, [les chrétiens] sont par leurs vies, supérieurs à ces lois. Ils aiment tous les hommes et tous les hommes les persécutent. Sans les connaître, on les condamne. Mis à mort, ils naissent à la vie. Pauvres, ils font des riches. Manquant de tout, ils surabondent. L’opprobre dont on les couvre devient pour eux une source de gloire ; la calomnie qui les déchire dévoile leur innocence. Outragés, ils bénissent; insultés, ils offrent le respect. Irréprochables, ils sont punis comme criminels et au milieu des tourments ils sont dans la joie comme des hommes qui reviennent à la vie. Les Juifs les regardent comme des étrangers et leur font la guerre. Les Grecs les persécutent, mais ces ennemis si acharnés ne pourraient dire la cause de leur haine. (Diog 5.10–17)

L’apologiste illustre cette relation entre chrétiens bien intentionnés et le monde hostile par une analogie, celle de l’âme et du corps :

En un mot, les chrétiens sont dans le monde ce que l’âme est dans le corps. L’âme est répandue dans toutes les parties du corps ; les chrétiens sont dans toutes les parties du monde. L’âme habite le corps sans être du corps, les chrétiens sont dans le monde sans être du monde. L’âme, invisible par nature, est placée dans un corps visible qui est sa demeure. De la même manière, les chrétiens sont visibles pendant leur séjour dans le monde, mais leur culte demeure invisible. La chair, sans avoir reçu aucun outrage de l’esprit, le hait et lui fait la guerre, parce qu’il est ennemi des voluptés. Ainsi le monde persécute les chrétiens, dont il n’a pas à se plaindre, parce qu’ils fuient les plaisirs. L’âme aime la chair ainsi que ses membres qui la combattent, et les chrétiens aiment ceux qui les haïssent. L’âme, enfermée dans le corps, le conserve ; les chrétiens enfermés dans ce monde comme dans une prison, empêchent qu’il ne périsse. L’âme immortelle habite un tabernacle périssable ; les chrétiens, qui attendent la vie incorruptible des cieux, habitent comme des étrangers les demeures corruptibles d’ici-bas. L’âme se fortifie par les jeûnes, les chrétiens se multiplient par les persécutions quotidiennes. Le poste que Dieu leur a confié est si glorieux, qu’ils regardent comme un crime de l’abandonner. (Diog 6.1–10).

Pour l’auteur de Diognète, la manière, recommandée par Dieu, dont les chrétiens font face à la persécution est une preuve que leur doctrine n’est pas une invention humaine :

[Ne vois-tu pas] que l’on jette les chrétiens aux bêtes féroces ? On voudrait en faire des apostats ; vois s’ils se laissent vaincre ! Ne vois-tu pas que plus on fait de martyres, plus on fait de chrétiens ? Ces choses ne ressemblent pas à des œuvres humaines ; elles déclarent la puissance de Dieu, elles constituent des preuves de sa présence. (Diog 7.7–9)

Ces faits ont servi de preuves pour Justin Martyr, un philosophe qui s’est converti au christianisme et a écrit des apologies de la foi à l’endroit de l’Empereur et du Sénat vers l’an 150. D’ancien platonicien et admirateur de Socrate, Justin est devenu chrétien, en partie après avoir observé que les chrétiens n’avaient pas peur de la mort (2 Apol 12). Il est intéressant de noter que Justin maintient une haute opinion de Socrate, soutenant qu’il connaissait le Christ en partie, en sa qualité de logos , et que les mauvais démons ont conspiré contre Socrate parce qu’il enseignait ce qui est juste et vrai, tout comme ils le font envers les chrétiens. Néanmoins, Justin reconnaît que personne ne crut Socrate jusqu’à mourir pour ce qu’il enseignait, tandis qu’en Christ « non seulement les philosophes et les érudits ont cru, mais aussi les artisans et les gens entièrement sans instruction, méprisant à la fois la gloire, la peur et la mort » (2 Apol 10).

En tant que philosophe chrétien, Justin indique clairement aux autorités romaines que les chrétiens ne recherchent pas la persécution comme une forme de quasi-suicide, et écrit effectivement ses apologies pour que les Romains mettent fin aux mauvais traitements qu’ils infligeaient aux chrétiens (ce qui restera lettre morte, puisque Justin lui-même est martyrisé vers l165 après J.-C.). Cependant, Justin indique tout aussi clairement qu’il écrivait mû par l’amour pour les persécuteurs eux-mêmes, afin qu’ils puissent échapper au juste jugement de Dieu et être amenés à la vie. Car si les persécuteurs n’écoutent pas, les chrétiens savent « que personne ne peut nous faire de mal, si nous ne sommes convaincus de crime, si nous ne sommes reconnus coupables. Vous pouvez nous tuer ; nous nuire, non. » (1 Apol 2).

Ces témoins du deuxième siècle servent d’encouragement et d’inspiration pour les chrétiens qui vivent avec la réalité de la persécution, ainsi que pour ceux qui pratiquent leur foi en toute sécurité aujourd’hui. Pour ceux qui ont une expérience directe de la persécution, ces personnes nous encouragent à reconnaître que le chemin de la souffrance a bel et bien été parcourue par les saints chrétiens dès le début — en effet, la grandeur de la foi a été rendue plus évidente lorsqu’elle était confrontée à la haine vouée par le monde, et leur souffrance était le moyen-même par lequel Dieu a éveillé et transformé les cœurs de leurs adversaires païens. Parmi ceux qui vivent en sécurité, ces premiers témoins nous incitent à examiner comment nous pouvons accepter avec joie les opportunités, même minimes, que nous avons de souffrir avec le Christ dans nos vies de chaque jour. Car c’est dans la souffrance que la gloire de Christ est révélée (Jean 12.23–28), et si nous souffrons avec lui, nous auront également part à sa gloire (Romains 8.17).


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Œuvres citées

  • L’Épître à Diognète.
  • Saint Ignace d’Antioche, Épître aux Romains.
  • Saint Ignace d’Antioche, Épître à Smyrne.
  • Saint Ignace d’Antioche, Épître aux Ephésiens.
  • St. Justin Martyr, Dialogue avec Tryphon.
  • St. Justin Martyr, La première apologie.
  • St. Justin Martyr, La deuxième apologie.
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